Fragments de vie urbaine.


Jean se réveilla le matin au son du chant du coq. Il soupira un moment, vit Annie à côté de lui qui émergeait aussi difficilement du sommeil. Puis tous les deux se levèrent.

Ils se levèrent et mangèrent avec leur fils Francis. Du pain noir de seigle et du beurre dessus. Francis qui avait 6 ans jouait un peu avec ce qu’il appelait le « jouet magique ». Un Rubik’skube en plastique. Jean soupira : un jour si leur situation s’aggravait, il faudrait le vendre, ils pourraient en tirer facilement dans les 1000 écus, soit un mois de ce qu’ils gagnaient comme argent sonnant et trébuchant. Ils partirent après dans le centre du village pour participer à la cérémonie du matin.

Ils y participèrent et remercièrent la Terre pour ses récoltes et leur travail collectif pour leur procurer chaque jour leur pain quotidien. Puis, il y eut l’assemblée du matin. Plusieures questions y furent abordées comme l’attaque d’un convoi de marchandises par des asoc. La déléguée du village promit que la nouvelle avait été envoyée au Centre et que des troupes seraient envoyées pour sécuriser la région si les attaques reprenaient. D’autres questions furent aussi abordées pour savoir quand viendrait le prochain ravitaillement en médicaments par train et les nouvelles partielles qui provenaient du Centre. Jean eut son heure de gloire car il put distiller savamment deux trois informations grâce à ce que lui avait dit son beau-frère Emmanuel qui bossait directement au Centre. Ils abordèrent la question des récoltes (trop peu abondantes), du bétail (qui coûtait cher en fourrage malgré l’assolement triennal pratiqué) et des enfants (toujours si dur à élever). Ils ne parlèrent pas du monde d’avant. Mais Jean ne put s’empêcher d’y songer. Il se rappelait jeune de l’air effaré de son père. Inquiet il s’était lové contre lui et lui avait demandé « papa qu’est ce qui ne va pas ? ». « Le pétrole répondit son père, le pétrole avait dépassé 200 dollars le baril. » Sans comprendre ce que ça signifiait, Jean avait compris en regardant l’expression de son père et de sa mère que quelque chose de très grave se passait. Il s’ébroua et se prépara à aller travailler aux champs. 

Francis était heureux à l’école. Malgré les recommandations de son père, il avait emprunté le jouet magique. Les autres se moquaient de lui car il avait des vêtements troués et une tête un peu bizarre, ils allaient voir. A la récré, Marcel qui était grand et gros vint le narguer « alors tes parents sont toujours des pauvres ». Francis lui répondit « c’est pas vrai, même que j’ai quelque chose que tu auras jamais ». Et il sortit le jouet magique plein de faces de couleur. Marcel et ses deux acolytes regardèrent bouche-bée, le jouet coloré que faisait tourner Francis, d’une fluidité que n’atteindrait jamais le bois. Marcel attendit un moment puis dit « il est à moi ». Il tordit le bras de Francis et lui prit. Francis cria « Méchant » alors que les deux acolytes de Marcel le tenaient en respect et que celui-ci jouait avec SON jouet magique. Francis cria de plus en plus fort et la directrice arriva, l’air énervée. 

Annie écoutait la directrice « Alors bien sûr Marcel a été puni et normalement il ne le refera plus. Pourtant, l’attitude de votre fils est malhabile et ne devrait plus se reproduire. En effet, elle a entrainé une perturbation … ». Elle songea que la directrice ne savait pas à quel point. Elle l’écoutait fatiguée alors qu’elle revenait de la cueillette et elle pensait aux longues discussions avec son frère Emmanuel. Quand celui-ci lui racontait les villes avec les tramways magiques qui glissaient tout seul, les fermes agro-urbaines mais mêmes les jardins, de la terre utilisée non pas pour produire mais pour magnifier la beauté de ceux qui la jardinaient. Et il insistait également sur l’éthos nécessaire pour intégrer les rangs du Centre. « Certes, il reste une population urbaine faisant des centaines de tâches. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il serait souhaitable pour Francis de l’intégrer très clairement » dit-il le regard un peu dans le vague. Mais intégrer le Centre. Pour cela, il doit apprendre à laisser sa volonté s’abolir pour servir l’intérêt général, à ne pas avoir de désirs personnels ou le moins possible, à ne pas égotiser. Nous disposons d’un immense pouvoir, de la répartition de l’énergie que produisent les centrales nucléaires, des réserves de pétrole de l’Ancien Temps et de la tâche d’utiliser tout cela pour sauvegarder la Confédération. Nous ne pouvons permettre de laisser la discorde ou l’ambition miner cela ». Elle savait ce qu’il allait dire après et il le dit « Je me demande si je ne faute pas déjà en donnant à mon neveu par affection pour toi des conseils pour intégrer par concours le corps des Centraux ». Il se reprit « Enfin, ce sera à lui de les appliquer ». 

Annie dit calmement à la directrice : « Je préférerais passer l’éponge sur l’affaire. Ne punissez pas Marcel ». Les traces restent et sont épluchées par la commission d’admission. Les paroles s’envolent.





Lucas poussa la porte de sa maison ravi et heureux. La journée avait encore été une journée pleine. Sa femme Inès lui sourit. Ayant été journaliste pigiste, elle s’était reconvertie à mi-temps dans l’école du village à mi-temps dans la gestion de la ferme. Lucas quant à lui animait la forge du village. Il songea à avant quand il était artisan. Il se cassait le dos pour un salaire de misère. Maintenant, il était quelqu’un de considéré, d’important. La communauté comptait sur lui notamment quand les arrivages de métaux des usines du centre qui tournaient avec l’électricité des centrales nucléaires bénies étaient restreints par les attaques d’asoc. Il se remémora d’un air satisfait sa journée

Tout d’abord, il y avait eu la réunion du début. Meme si Jean avait fait le crâneur comme un imbécile en parlant de son beau-frère (quel crétin, plus on se tenait loin des Centres mieux cela valait), le rite du lever du soleil avait été effectué dans les formes. La journée s’était bien passée. Les deux apprentis qu’il avait à la forge se débrouillaient de mieux en mieux et l’un d’entre eux Thierry ferait un parfait mari pour sa fille Lydia quand elle aurait 5 ans de plus. Sarah avait aussi plein de choses à lui raconter : les bonnes affaires qu’elle avait faite à la braderie, les potins stupides sur les bagarres entre gosses (pour un rubiks’kube tu te rends compte comment peuvent –ils s’attacher à ces débris d’antan lui dit-elle en soupirant). Enfin, ils sortirent pour assister au diner commun. Dans la rue, des enfants couraient avant de rentrer. Des gens se souriaient. Quand tout le monde arriva à la salle commune, le voyageur se révéla, il s’agissait de Alexis troubadour de son état qu’avait engagé (et assez cher songea-t-il) Lucas pour animer la vie du village pendant une semaine. 

Alexis et sa jeune assistante Olivia commencèrent par des tours de magie animant l’assemblée. Le pic fut atteint quand ils allumèrent une brève bougie avec un peu d’essence sacrée. Puis Alexis raconta tandis qu’Olivia l’accompagnait à la harpe. Il chanta le temps d’antan, la saga de Rockfeller et le destin des Seven Sisters. Il chanta, la grande guerre du pétrole et la Déchirure. Il chanta l’Effondrement et l’Adaptation. Et il chanta d’autres thèmes bien moins historiques que ce soit le conte de D’Artagnan/Batman, celui de Memed le Mince/Robin des bois ou le destin tragique de Turin Tumumbar. Le village écoutait bouche bée. Lucas était content. L’année prochaine il serait sûr d’être représentant officiel du village et il pensait à la chance qu’il avait d’avoir Sarah comme femme. Celle-ci avait suggéré cette idée qui s’était révélée excellente. Il se coucha tranquille en songeant à l’avenir radieux qui l’attendait.







23 février 2100 : Le réveil sonna tirant Emmanuel de son lit. Il se leva à 7 H 00 bien réglées et sauta de son lit. Il commença par s’habiller, petit déjeuna des « rations de survie nécessaires », se doucha et se brossa les dents. A 8h OO PM il sortit pour aller au Centre. Il traversa le Quartier Latin, ses magnifiques fermes urbaines et ses dernières bibliothèques précieusement préservées. Quand il vit le Centre, il resta toujours sous le coup de l’émotion. Celui-ci était si beau, grand, ciselé, fuselé. Il vit des milliers d’hommes et de femmes en tenue conventuelle y rentrer comme dans une ruche. Il entra dans la salle de réunion et compulsa le rapport qu’il devait gérer. 

Les différentes communautés du Nord-Ouest avaient bénéficié d’un vent éolien favorable. Le solaire et l’hydraulique avaient été productif dans le Sud-Est. Par contre le Sud-Ouest et le Nord manquaient toujours cruellement d’énergie et il fallait en transférer de la réserve centrale. Celle dont Emmanuel avec tant d’autres gérait les aléas. Celle que produisaient les centrales nucléaires. Céline prit la parole. Elle était concentrée, assez calme. « Oblats et oblates dit –elle comme vous le savez, nous manquons d’ingénieurs nucléaires car la dernière école fonctionnelle n’en forme pas assez. Je propose d’en former plus et d’ouvrir une seconde école » Des discussions endiablées commencèrent. Emmanuel nota mentalement l’habileté de Céline qui,, si l’école se fondait, en serait la fondatrice avec tout ce que cela impliquait comme mécanisme d’influence. D’autres affaires comme celle des demandes de la Commune d’Ardèche (une curieuse petite communauté agro urbaine membre de la Fédération) furent débattues. Emmanuel songeait à son neveu Francis. Il savait ,qu’égotiser était mal mais il n’arrivait pas à s’empêcher de penser à comment celui-ci s’adapterait bien au Centre. Sa capacité de concentration et d’absorption et ses maladresses physiques le rendaient inadapté à la vie dans sa communauté. Brusquement, il vota en faveur de la nouvelle école quand le vote eut lieu. Cela étonna, sa position n’étant pas connue. Il vit Céline le remercier d’un hochement de tête et se dit qu’il avait peut-être l’occasion de lui glisser un ou deux mots en faveur de Francis. Je n’égotise pas se répéta-t-il pour se soulager. Il serait à sa place et le bonheur individuel n’est pas mauvais quand il est accordé aux intérêts de la collectivité. Mais il resta l’âme troublée. Il se dit qu’il allait peut-être se porter volontaire pour accueillir la déléguée de la Commune de l’Ardèche après tout. A la fois car il était curieux de savoir plus sur les rumeurs qui couraient à leur égard et aussi car, si Francis n’était pas pris au Centre, ce pourrait être une solution de rechange. 


Le son du réveil leva Sarah, médecin généraliste et conseillère. Elle sortit de chez son appartement après avoir avalé un café, et embrassé son mari et ses enfants, quitta son appartement en saluant un jeune homme de la colocation intergénérationnelle de l’appartement en face. Ils étaient tellement jeunes, tellement ardents et tellement polis, ces jeunes citoyens. Elle sortit sans oublier de déposer un petit don au médecin du dispensaire voisin. Puis, elle avança à pas vifs dans les ruelles profitant de la relative fraicheur offerte par les toits végétalisés. Dans une place, un débat avait lieu sur une agora tandis qu’à côté, un troubadour captivait l’assistance. Elle sourit intérieurement. Elle mesurait tout le chemin parcouru depuis les années sombres ; Il y avait eu les pandémies, l’envolée du prix du pétrole quasi disparu, les crises politiques à répétition dans la période des Troubles et de la Contraction. Le pays avait failli sombrer et certains espaces encore périphériques étaient toujours contrôlés par des seigneurs de guerres ou des sectes millénaristes. Mais pas chez eux. 

Chez eux, les années sombres avaient lancé un processus de renouvellement. Les citoyens s’étaient rassemblés dans une structure de démocratie semi-directe structurée par des débats autour d’agoras. Les débats avaient entraîné la mise en place d’une série de réformes. 

Une réforme centrale avait été celle de l’éducation. Les écoles avaient été reconstruites, certains professeurs pouvaient y loger et ils étaient plus proches de leurs élèves. Des rythmes différents avaient été mis en place pour les enfants à besoin spécifique. Des équipes médicales avaient été mises en place avec la présence d’étudiants internes en médecine. Des groupes de communication formaient les enfants à la compétence psycho-sociale pour leur permettre de s’affirmer sans violence. Ceux-ci y travaillaient la gestion des émotions, l’affirmation d’eux-mêmes et la gestion du stress. Le travail en équipe était développé car tout seul, on peut aller plus vite mais à plusieurs on va plus loin. Une architecture en triangle entourant un jardin et une agora en losange comme dans la nouvelle place qu’elle traversait. Ainsi la température en été était vivable malgré le réchauffement climatique. Des tramways peu consommateurs d’énergie sillonnaient la ville. Des toits d’immeubles emplis de panneaux solaires et un mécanisme de circuits courts pour les déchets dans chaque immeuble. La ville était presque autosuffisante. Il y avait toujours l’aide énergétique du quota produit par les centrales de fusion nucléaire que leur allouait le Centre auquel elle pensait comme un vague rappel désagréable de leur dépendance. En même temps, le monde était une vaste tapisserie où aucun fil ne pouvait être autonome et faire partie de la fédération leur garantissait une sécurité militaire qu’ils n’auraient pu avoir seuls ou alors en se métamorphosant en quelque chose d’autre. Cela allait avec des obligations : payer les impôts pour le Centre, envoyer quelques jeunes quand il y avait une conscription et accepter que les instructeurs du Centre viennent présenter aux écoles les métiers administratifs du Centre de la Fédération pour celles et ceux que ça intéressait. Mais c’était un faible prix à payer pour que leur ville soit sécurisée. 

Sarah continua à songer aux modifications qu’avait vécues la commune avec les réformes. Des canaux d’irrigation avait fait venir l’eau sur les parcelles libérées par la fin de l’étalement urbain et des coopératives agricoles et artisanales avaient prises en charge la production. Une mobilisation collective des citoyens avait permis de réduire la criminalité et la corruption. L’architecture était en harmonie avec l’histoire de la ville et la nature tout en étant conçue pour un rafraichissement maximal des immeubles et des écoles. Le système de soins était gratuit et accessible à tous, et les procédures judiciaires étaient équitables. La conception du mode de vie était libérale et insistait sur la paix sociale. Sarah s’était investie dans les agoras et après quelques années avait été élue membre du conseil municipal. 

Sarah prit le tramway de la rue Murray Bookchin et arriva jusqu’à la gare Armatya Sen. Comme tous les 3 mois en sa qualité de responsable élue du conseil municipal. Mais cette fois-ci ce serait différent ; cette fois-ci elle prendrait l’avion (pour la première fois de sa vie depuis la Contraction quand elle l’avait pris une fois pour aller en vacances à Bali avec ses parents). Elle partirait vers le Canada où l’expérience sociale de leur Commune intéressait pour y recevoir un prix (tellement typique des endroits qui tentaient de s’accrocher aux bribes du monde d’avant, cette manie de remettre des prix mais bon). Elle était, elle doit le reconnaitre un peu anxieuse. Elle n’était jamais allée en Amérique même pas par le trajet long en catamarans. Alors y aller en avion… En outre,la monarchie constitutionnelle du Canada était un des endroits ayant le plus préservé le mode de vie d’antan grâce à son abondance de ressources et de territoires. Comment la verraient-ils ? Comme une sauvage exotique pouvant animer leurs conversations ? Ou peut-être que ça n’allait pas si bien pour eux ? Peut-être qu’ils étaient à la recherche de solutions ? Peut-être que son expérience pourrait les servir ? Elle inspira alors que le train arrivait et partit. Elle n’était pas seule, n’avait jamais été seule, Sarah. Elle représentait tous ceux et toutes celles qui l’avaient aidé, qu’elle avait aidé en tissant des liens humains. Elle représentait sa commune et ce qu’elle produisait comme rapports humains. Tous et toutes seraient avec elle en pensée alors qu’elle parlerait de leur modèle. 


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