Les larmes d’Athéna

 Les larmes d’Athéna



















 « Cassandre, la fille du roi, était très experte à pénétrer les secrets divins. Elle consultait les augures et jetait les sorts. »

Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, extraits du manuscrit Milan, Bibliothèque ambrosienne, D55, édités, présentés et traduits par Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard, Paris, Librairie Générale Française, coll. « Lettres gothiques », 1998, p. 146-147.













































C’était l’été des moissons, un bel été. Les navires marchands étaient partis pour commercer avec les gens de Knossos et les Achéens. La domination hittite se faisait de plus en plus légère et peu de gens étaient malades. Les récoltes s’annonçaient belles et l’avenir radieux à Wilusa.


L’étrangère arriva, 5 ans après que Lysimaché soit devenue grande prêtresse de Déméter. C’était une femme et pourtant elle voyageait seule. Elle disait qu’un dieu la protégeait ; sans doute en était-il ainsi au vu des prodiges qu’elle pouvait accomplir. Le roi Priam, le juste, la convoqua pour savoir si un dieu la protégeait effectivement mais aussi car il est toujours bon pour une cité commerçante comme Wilusa de se tenir au courant des nouvelles du monde. Après l’entretien, elle eut une maison près d’un sanctuaire de Lykios où elle pouvait le vénérer. En effet, elle avait dit que c’est celui -ci, l’archer à l’arc d’argent, qui la protégeait. Cela était sans doute vrai car elle savait soigner des maladies dont auparavant les enfants de la cité mourraient. Or c’est Lykios qui préside aux maladies et aux soins. On l’appela donc « la femme qui repousse l’ennemi et qui protège ». Elle était attentive, aimait à parler aux femmes de leurs poteries ou des motifs qu’elles employaient pour tisser. Mais, elle interrogeait aussi les hommes sur le rôle de l’écriture sacrée des scribes et les pouvoirs du roi, intercesseur entre les dieux et les hommes. Et bien qu’étant une femme, elle était bénie des dieux si bien que tous lui répondaient. Et son esprit brillait dans les discussions et elle connaissait maints contes étranges.  


Elle était belle avec ses yeux bruns malicieux et sa masse de cheveux noirs bouclés et bien des nobles de la ville auraient été honorés de la prendre pour concubine mais elle se refusa à eux en disant qu’elle était réservée au dieu qu’elle servait. Cependant elle devint fort amie avec Hector le noble, fils de Priam, le meilleur guerrier de Wilusa et avec sa femme Andromaque. Elle avait grand plaisir à parler avec eux. Puis Priam eut un enfant, un de plus (il se vantait souvent de pouvoir constituer une armée avec ses fils car il en avait beaucoup). Il avait également de nombreuses épouses comme il convient à un homme de son rang mais Hécube restait sa préférée.  Hécube, sa femme, était agitée car elle avait rêvé que ce fils détruirait leur cité. L’Etrangère fut fort marquée par le récit que lui fit Hécube et vint voir Priam, Hector et Hécube dans le palais. Là, elle dit que son Dieu lui avait parlé ; qu’il lui avait dit que l’enfant était maudit et détruirait effectivement la cité. Son avis emporta la décision et l’enfant fut exposé aux bêtes sauvages.


Cassidy était dans la maison à coté du sanctuaire, enveloppée dans un chiton. Soudain, l’air vibra d’une distorsion temporelle et une femme élancée à l’air fier entra. Ses cheveux châtains et sa peau laiteuse indiquaient clairement qu’elle n’était pas destinée à étudier le milieu de Wilusa en se fondant dans celui-ci.

Cassidy dit

— Théa, tu es venue.

— Tu sais pourquoi, tu as interféré dans l’histoire car tu savais ce qui allait se produire. Tu sais que Wilusa est Troie et que ce qui va s’y jouer aura des répercussions incalculables sur la conscience collective des Grecs puis de l’Europe occidentale. Nous ne pouvons pas interférer avec les évènements qui s’y passent au risque d’interférer avec le souvenir de ces évènements et avec la légende.

— Je n’ai pas interféré dit Cassidy fièrement.

 — Ah oui ? Pâris devait mourir dévoré et sans lui pour enlever Hélène, jamais les grecs n’auraient pu s’unir assez fortement pour prendre Troie 

— L’exposition de Pâris est attestée par plusieurs récits… 

 — Des mythes classiques de l’enfance du héros abandonné, tu sais aussi bien que moi que dans ce cas il n’aurait jamais pu survivre. Heureusement j’ai corrigé ta faute, il est en vie, sain et sauf. Grâce à mon intervention, pour ses parents il est béni des Dieux. Maintenant, il reste à te juger.

Cassidy bondit — Tu veux m’exiler, me punir dans un monde prison. Tu sais pourquoi on m’a attribué cette mission d’immersion. Car je pouvais être en immersion quasi-totale. Car je n’ai pas de famille depuis le massacre de ma communauté en 2535 par des pirates. Car j’ai été « libérée », c’est-à-dire rachetée, pour mener une vie de paria dans vos académies. Car du coup, j’étais selon les propres termes de votre académie « totalement prête à s’immerger dans une culture qui sera la sienne ». Et tu sais quoi ? Je m’y suis immergé. J’aime Wilusa, la ville qu’Homère appellera Troie. J’aime ses habitants, leurs chants et leurs rites. J’aime Hector car il a en lui un calme et une douceur qu’il préserve malgré les luttes qu’il mène. J’aime débattre avec Andromaque et lui raconter comme des mythes des œuvres de fantasy du 20ème siècle. Pour moi c’est ma famille maintenant. Et je ne peux être retirée de cette société. 

—  Comment ? Cass, nous n’analysons pas le passé pour le préserver ou l’archiver. Nous l’analysons pour repérer des interférences et les prévenir. Nous sommes le bouclier garantissant que l’histoire se passera comme elle doit se passer et de notre survie à tous. Bien sûr qu’on peut te retirer, tu dis que ton dieu t’appelle et tu seras vite oubliée surtout qu’ils auront d’autres soucis. Ton départ n’impactera en rien la ligne temporelle et …

 — Merde, je suis devenue un mythe en fait. Cassandre, celle qui protège. Ma renommée court notamment sur mon don de prophétie. Je fais déjà partie de l’histoire et mon départ la changerait .

 Théa était anormalement pâle. — Cass tu sais ce qui va arriver à Cassandre et tu sais qu’on ne peut pas te laisser faire ce que tu veux. Il n’y a qu’une ligne temporelle, celle conduisant à l’histoire telle qu’elle existe et à Notre Seigneur Jésus 

— Théa, ne mêle pas tes convictions religieuses à ta mission c’est déjà assez pénible comme cela. Le problème est simple. Si je disparais cela altérera le mythe et je ne veux pas disparaître. En fait il doit y avoir un moyen de préserver Wilusa et… 

Théa assomma Cassidy par surprise. Il lui restait peu de temps. Elle rassembla tout le matériel en infraction temporel sur son tempsporteur. Soudain, elle entendit du bruit et des soldats à l’extérieur. Paniquée, elle fit la transe de téléportation sans pouvoir emmener Cassidy avec elle d’autant que tempsporter une personne contre son gré était une opération délicate. Elle dit à sa direction quelle était la situation. Là, elle reçut des instructions du QG. Elle les lut, les relut pour être sûr, tempêta, envoya plusieurs missives. Finalement, elle accepta. Cassandre ne pouvait être retirée sous peine de trop distendre le continuum mais ses efforts devaient être neutralisés. 


Les Wilusiens savaient que Cassandre était différente depuis qu’une lumière s’était élevée de sa maison. Sa prophétie sur le jeune prince Pâris s’était révélée fausse et bien que la famille royale la tînt en grande affection, elle ne croyait plus à ses dons de prophétesse. Une rumeur alimentée par Déiphobos, un des fils de Priam murmurait qu’elle avait refusé d’offrir sa virginité à son Dieu et qu’il l’avait puni pour cela. Plusieurs tentèrent de la séduire mais elle les refusa et Hector menaça en duel ses potentiels prétendants, les refroidissant.


Cassandre se montrait renfermée. Il lui arrivait parfois d’avoir des absences et parfois de pleurer le soir en regardant le ciel. Priam et Hécube lui gardaient leur affection mais ne la considèrent plus comme sage et même Hector ou Andromaque la voyaient comme une sœur affectueuse mais marquée par les dieux. Cassandre s’isola de plus en plus. Quand Pâris partit pour sceller un accord commercial avec Sparte, elle dit qu’il ne devrait pas sur un ton sombre et lugubre. Pâris lui rit au nez et lui demanda si après avoir échoué à le tuer, elle voulait le condamner à devenir prêtre d’Apollon. Cassandre blêmit sous l’injure mais ne dit rien et nul ne prit sa défense. Et beaucoup murmurèrent qu’elle aurait pu se montrer plus modeste en présence de celui sur lequel elle avait appelé la mort.

Pâris revint sans traité commercial mais avec la femme du roi de Sparte, Hélène, belle comme le jour, aux yeux bleus comme les lacs et aux cheveux dorés comme le blé. Alors qu’il la prenait pour femme, Cassandre arriva pâle comme la mort. Elle dit que le malheur s’abattait sur les épouses parties sur les pas d’un amant et sur ceux violant les lois de l’hospitalité. Andromaque l’approuva et Hector dit son inquiétude à la pensée d’une riposte des Grecs. Priam hésitait et pensait aux accords commerciaux rompus avec la Grèce.


Alors, Pâris parla de sa voix d’or. Il accusa Cassandre d’être un oiseau de malheur, une Erinye prêchant le malheur derrière chacun de ses accomplissements. Il flatta Hector, lui disant que si les Grecs venaient, il saurait les repousser de sa lance aiguisée Et il rappela à Priam que Wilusa s’était construite sur des raids et des pillages, autant que sur le commerce. Hélène parla aussi et décrit sa vie misérable avec son époux froid qui ne l’avait épousé que pour l’exhiber comme un trophée. Elle chanta son amour avec Pâris comme semblable à une fleur fragile mais à la beauté remarquable pendant la floraison. Beaucoup pleurèrent devant la beauté de son chant et les sentiments qu’elle remuait et évoquait. Cassandre écoutait les discours de Pâris ainsi que le chant d’Hélène et pleurait.

Hector réconcilia Cassandre et Pâris. Pâris s’excusa de ses mots trop durs et Cassandre de ce qu’elle avait prédit. Elle officia même au mariage et promit à Hélène et à Pâris que leur amour vivrait pour l’éternité dans la mémoire des hommes. Mais ceux qui la connaissaient bien pouvaient voir ses lèvres trembler en disant cela.


Cependant, les relations se dégradèrent entre Wilusa et les Grecs. Il y eut d’abord des raids et des coups de main de part et d’autre. Ménélas appela à son aide son frère Agamemnon, le plus puissant souverain des mycéniens. Celui-ci pendant neuf années harcela les Wilusiens par des raids continuels tout en construisant un tissu d’alliances serrées à travers la Grèce par des menaces et des présents.


Les raids sur Wilusa échouaient souvent du fait de l’armée wilusienne aux chars habiles et aux archers renommés notamment Pâris. Sur son char, Hector était semblable à un héros d’antan, enfanté par les dieux, quand il fondait sur les Grecs. Wilusa tissa également un réseau d’alliance avec les Cariens, les Lyciens, les Phrygiens et les Thraces, utilisant pour cela le trésor accumulé par Priam.


Pendant cette période, Hector et Andromaque mirent au monde un fils Astyanax. Il était vif, enjoué et aimé par tous les habitants du palais. Cassandre passait beaucoup de temps avec lui et parfois elle tremblait quand celui-ci se mêlait aux enfants qui l’écoutaient alors que Cassandre racontait des légendes. Un jour, Andromaque lui dit : « Je ne crois pas que tu voies l’avenir avec certitude car tu t’es trompée au sujet de Pâris mais je sais que tu possèdes un don. Dis-moi, Astyanax sera-t-il un guerrier encore plus fort que son père ? ». Cassandre eut un moment d’absence puis elle répondit « Il ne mourra pas au combat ». Elle passait bien du temps avec Hector aussi au point que certains se demandèrent si elle était amoureuse de lui. Même si c’était le cas, elle n’en dit jamais rien car Hector et Andromaque s’aimaient d’un amour semblable à deux rames s’élevant de concert en permanence et Hector ne songea jamais à prendre d’autres femmes. Hector ne prenait même pas de concubines dans le butin et s’il n’avait été si brave, d’autres se seraient moqués de lui pour cela. Enfin, Cassandre manifestait depuis le début de la guerre, une dévotion à Athéna qui en surprit plus d’un car Athéna protégeait les Grecs et haïssait Wilusa. Mais certains notaient que quand elle priait Athéna, elle en sortait souvent en larmes ou en colère et dirent que Cassandre luttait face à la déesse pour la convaincre de protéger Wilusa. Et ils étaient proches de la vérité.


Puis la flotte des armées grecques rassemblées par Agamemnon partit vers Wilusa en masse. Les armées de Wilusa restèrent à l’intérieur et Priam envoya des messages aux Hittites mais accaparés par leurs guerres de succession, ceux -ci ne purent que promettre des secours sur le long terme. L’importance de la charrerie dans leur armée, empêchait les troyens de soutenir un siège sans faire de sorties et ils tentèrent plusieurs fois de dégager la ville. Maintes batailles eurent lieu et Hector se montrait terrible sur son char, semblable disaient certains à Zeus même. Certains dirent qu’Athéna n’hésitait pas à intervenir dans le conflit en faveur des Grecs, qu’elle rompit elle-même la proposition de duel entre Pâris et Ménélas ou inspira Agamemnon.


Pourtant, Hector fut un roc qui défendit Wilusa jusqu’au duel entre lui et Achille, aux belles jambières, le plus grand héros des grecs. Cassandre l’avait prévenu de ne pas se battre et lui avait révélé qu’elle était envoyée des dieux depuis une autre époque. Hector lui répondit « Que je combatte ou non ne fera pas de différence car si je ne me bats pas, qui sait si Achille emporté par sa fureur ne détruira pas notre cité ? Peut-être dis-tu vrai et je mourrais et Wilusa tombera. Mais s’il existe une seule chance de changer cela alors je dois la saisir et lutter ». Hector et Achille se battirent char contre char, lance contre lance. Et certains dirent qu’Hector eût pu gagner si grand était son courage. Achille se battait en effet uniquement pour la vengeance de son amant Patrocle, tué par Hector et pour la gloire. Hector, lui, se battait pour la population de Wilusa, pour épargner l’esclavage à sa femme Andromaque la fière et à son fils Astyanax, pour les temples de ses dieux et les tombeaux de ses ancêtres. Mais Athéna le trompa et abusa ses sens permettant la victoire d’Achille. Il tomba comme un chêne, qui a longtemps abrité une vie débordante sous ses racines, tombe sous la hache du bûcheron.


Quand elle entendit la nouvelle, Cassandre se rendit au temple d’Athéna. Là elle dit

— Théa, je sais que tu m’entends et je sais tout ce que tu as fait. Ah elle est belle votre hypocrisie sur le fait de ne pas modifier l’histoire alors que vous la modifiez pour qu’elle se déroule comme prévu sur la seule ligne temporelle vous arrangeant. Je sais que tu m’entends et que tu m’observes depuis cette statue. En mémoire de tout ce qui nous avait lié à l’Académie, je te l’annonce. Je refuse de partir si tu veux m’évacuer avant la chute de Troie. Je serais Cassandre et j’assumerais mon rôle. Tu ne peux m’évacuer contre ma volonté et tu le sais très bien. Mais sache que tout ce qui m’arrivera sera de ta faute et que tu peux très bien l’empêcher.

Quelque part dans son quartier général, Théa frémit et la statue d’Athéna répondit — Qu’il en soit ainsi. 


Le siège se poursuivit. Pâris tua Achille d’une flèche au talon. Les Grecs n’arrivaient pas à couper le ravitaillement de Wilusa et manquaient eux-mêmes de nourriture. Pâris vint voir Cassandre et lui dit qu’il comprenait ses craintes et lui pardonnait mais que Wilusa allait survivre et ressortir encore plus grande de ce siège. Cassandre ne répondit rien sauf que Wilusa aurait un renom immortel. Les Grecs partirent mais en laissant un grand cheval de bois. Les Troyens voulurent l’emporter comme un trophée. Cassandre supplia de ne pas l’introduire et dit que c’était un piège mais elle ne fut pas entendue. Elle tempêta et décrivit les sombres malheurs qui allaient frapper Wilusa mais en faisant cela, perdit son contrôle d’elle-même déjà fragilisé par les épreuves qu’elle avait dû surmonter. Elle fut donc vue comme ayant une transe de folie et fut ignorée.


Puis Wilusa tomba quand les héros grecs sortirent du cheval et se rendirent maîtres des portes. Ce fut une nuit rouge de sang et noire de désespoir. Les Wilusiens se défendirent avec acharnement sur l’acropole et dans les maisons. Rendus ivres de rage par la résistance de Wilusa, les grecs massacrèrent sans distinction la grande majorité des civils. Cassandre se réfugia au temple d’Athéna, prenant la statue de la déesse entre ses bras. Là elle dit selon la majorité des récits — Théa, Théa pourquoi m’as-tu abandonnée ? étreignant la statue. Là, Ajax fils d’Oilée, un des meilleurs javeliniers grecs et un homme vicieux la trouva.


Théa au Quartier Général :  — Cassidy m’appelle à l’aide. Ajax, cet infâme porc est en train de la violer, il déchire ses vêtements et … Je dois intervenir 

Quartier Général à Théa : — Nous sommes au moment critique du continuum, celui de la chute de Troie, vous ne pouvez pas intervenir. Intervenir modifierait la ligne temporelle et ferait disparaître notre monde. Vous le savez et elle le sait. Elle veut faire porter sur la Brigade, le choix de son intervention. Je répète n’intervenez pas.

Théa n’intervint pas. Mais alors qu’Ajax violait Cassandre qui se cramponnait à la statue d’Athéna, on dit que des larmes coulèrent sur les joues de marbre de la statue et que celle-ci ferma les yeux.

Le lendemain, les captives troyennes étaient assises en rang surveillées par les soldats grecs alors que les chefs allaient se les répartir. Soudain, Cassandre eut une vision. —Cass dit avec insistance la voix de Théa. — Cass ? Cassandre ne répondit pas. Alors Théa lui dit — Je peux au moins que garantir que tout se passera comme dans les récits et que tu auras ta vengeance. Je peux te le promettre. Pardonne-moi Cass ». Cassandre ne répondit pas mais elle sortit parmi les captives. En apprenant qu’elle était destinée à la couche d’Agamemnon elle ne se révolta pas mais eut un sourire sauvage qui fit trembler ceux qui la voyaient. Elle sourit et dit ces vers qui restèrent dans la mémoire de ceux l’entendant — Hélène fut épouse moins funeste que je ne le serais / Pour le fameux Agamemnon, le roi des Grecs/ C’est la mort que je lui apporte et la ruine de sa maison/ à lui qui détruisis la nôtre, vengeant les miens.


La flotte des Grecs partit avec les captives. Mais une tempête la surprit ainsi qu’un orage d’une force inhabituelle. La foudre s’abattait sur les bateaux comme si une force maligne la guidait. La plupart des bateaux grecs sombrèrent. L’on retrouva, le cadavre d’Ajax le fils d’Oilée, rejeté sur un rivage. Il était entièrement brûlé comme si la foudre l’avait frappé plusieurs fois avec une précision mécanique et ressemblait à un morceau de viande trop cuit. Et beaucoup murmurèrent qu’il s’agissait là du châtiment des dieux pour le viol de Cassandre dans le temple. Pendant la tempête, le bateau d’Agamemnon évitait les orages et Agamemnon dit à l’équipage que Zeus le Père le protégeait. Il amena Cassandre à sa couche pour qu’elle le serve. Quand il lui demanda en riant en partie, son destin, Cassandre eut un grand sourire et lui dit que son nom, celui de sa femme et celui de ses enfants seraient prononcés par les hommes dans 3000 ans.


Agamemnon arriva à Mycènes avec sa flotte. Il entra dans la citadelle, ruche bourdonnante de scribes notant les récoltes et le tribut, et se dirigea vers le palais. Sa femme l’incita à entrer pour se délasser ce qu’il fit. Alors qu’il était entré, Cassandre laissée sur le char rit d’un rire dont tous à Mycènes se rappelleraient. Et elle rappelait le destin des Atrides, d’Atrée le père d’Agamemnon qui fit manger ses propres enfants à son frère Thyeste. Elle parla de Wilusa et de ses habitants. La garde l’entourait mais nul n’osait l’interrompre car elle parlait comme en transe mais avec un luxe de détails. Elle dit aux Mycéniens que leurs jours étaient comptés, que leur civilisation allait disparaître sous les assauts de barbares (qui en effet se montraient de plus en plus menaçants au Nord), que nul ne se rappellerait de leur écriture et que leurs arrières petits enfants vivraient comme des bêtes sauvages dans l’inquiétude et la guerre. Elle leur dit qu’après cette journée, ils seraient tous souillés aux yeux des dieux et que cette souillure ne ferait que s’élargir. Et puis, elle entra dans le palais et nul ne songea à l’arrêter. Elle y rentra pour mourir. Et avant d’y rentrer, elle s’adressa à Athéna, la déesse aux yeux gris et lui demanda si elle était heureuse, vu que « tout se passait comme prévu ». Elle rentra fière comme pour un mariage et marcha vers sa mort.


Quartier Général à Théa : — Tout s’est passé comme prévu et vous avez géré avec tact cette crise de ressources humaines. Votre promotion est acceptée. 

Quartier Général à Théa : — Pourquoi ne répondez-vous pas ? 

Le DRH de la brigade qui arriva trouva Théa aux yeux pers, celle que l’on surnommait Athéna gisant dans son sang après s’être entaillée les veines. Elle avait avec elle deux lettres, une de démission et une d’excuse. La seconde était mouillée de larmes.


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