Ballard ou la droite ontologique dans le jardin du temps.
La nouvelle se trouve ici pour les anglophones
Je tiens à préciser dans cette critique que je n’ai lu que
ce texte de Ballard et que je connais très mal son positionnement politique.
Mais je pense que la critique reste intéressante d’autant que le texte a
justement un aspect astral ou intemporel (ce qui rentre bien dans le thème
d’une nouvelle sur le voyage dans le temps).
Le jardin du temps décrit la vie du comte Axel et de sa
femme dans une magnifique villa palladienne au style rococo. La description de leur vie peut se voir ici « A tall, imperious figure in a black
velvet jacket, a gold tie-pin glinting below his George V beard, cane held stiffly
in a white-gloved hand, he surveyed the exquisite crystal flowers without
emotion, listening to the sounds of his wife‟s harpsichord, as she played a
Mozart rondo in the music room, echo and vibrate through the translucent
petals ». Ce passage décrit
une vie aristocratique consacrée à la recherche de la beauté et du bonheur.
Cependant leur paradis est menacé par une armée qui est surtout décrite comme
une foule « but on closer
inspection, it was apparent that, like the obscured detail of a Goya landscape,
the army was composed of a vast confused throng of people, men and women,
interspersed with a few soldiers in ragged uniforms, pressing forward in a
disorganised tide. Some laboured under heavy loads suspended from crude yokes
around their necks; others struggled with cumbersome wooden carts, their hands
wrenching at the wheel spokes; a few trudged on alone; but all moved on at the
same pace, bowed backs illuminated in the fleeting sun. ». Tout
le vocabulaire explique que ce n’est pas d’abord une armée mais d’abord une
foule et une « populace ». Le comte Axel brise donc des fleurs
cristallines pour ramener le temps en arrière et refouler le moment où la foule
innombrable arrivera dans la villa. Mais le jardin meurt et ils ne pourront
empêcher la foule d’avancer et de le détruire.
Le style oppose en permanence la vie aristocratique et
esthétique du conte Axel et de sa femme à la foule vue comme obéissant à ses
plus basses passions « He thought he
could hear the low, fragmentary sounds of voices carried across the empty air,
a sullen murmur punctuated by cries and shouts, but quickly told himself that
he had imagined them. Luckily, his wife was at her
harpsichord, and the rich contrapuntal patterns of a Bach fugue cascaded
lightly across the terrace, masking other noises. » et comme étant sans volonté propre. Finalement
alors la horde percute la villa (et en passant à l’intérieur de celle-ci (tout
en la réduisant en ruine), ils évitent un buisson impénétrable rempli de
belladonne et abritant deux statues : celle du comte Axel avec sa barbe,
sa veste à col montant et sa canne et sa femme dans une robe à jupe évasée. On
comprend qu’ils ont utilisé leurs dernières roses pour se transformer en
statues de pierre impérissables.
Cette nouvelle est magnifiquement bien écrite dans un style
poétique et capte parfaitement le sentiment de peur face à la fuite du temps.
Mais elle a aussi un message politique dont je ne sais s’il est conscient mais
qui est très visible. D’un côté nous avons un style de vie aristocratique
reposant sur des vêtements élégants, des livres de qualité, une musique
classique jouée au clavecin, la recherche de la beauté et des fleurs éphémères
qui permettent par la beauté esthétique d’accéder à l’immortalité. Une telle
vie est réservée à un petit nombre (le comte Axel et sa femme). De l’autre,
nous avons une foule présentée comme une masse informe de gens n’ayant jamais
eu accès à labeauté. Quand ils arrivent dans la villa ils détruisent de manière
semblant quais inconsciente les livres, instruments de musique et vitraux
« The doors had rotted from their hinges and the floors had fallen
through. In the music room an
ancient harpsichord had been chopped into firewood, but a few keys still lay
among the dust. All the books had been toppled from the shelves in the library,
the canvases had been slashed, and gilt frames littered the floor ».
La vision est donc une vision qui a politiquement une peur
quasi panique du peuple (vu comme une populace). On pourrait y voir une vision
libérale exaltant l’individu ou une vision conservatrice exaltant des temps pré
révolutionnaires. Mais il y a des spécificités politique. Tout d’abord, il ne
s’agit pas d’une pensée conservatrice ou réactionnaire classique. En effet,
celle-ci exalte souvent un passé aristocratique mais en considérant que les
différentes classes sociales coopéraient harmonieusement sans l’aspect de peur
panique qui semble totalement naturel pour le comte Axel et sa femme. Pour
donner deux exemples très différents, Jean de la Varende est un écrivain contre
révolutionnaire très proche de l’Action Française. Dans Les Manants du Roi, il dresse la saga et fait l’éloge d’une famille
aristocratique du pays d’Ouche en Normandie. La dernière nouvelle se passe
alors que le dernier héritier de la lignée voit le domaine partir lentement en
ruines. Mais il se dit que malgré tout peut être que des ruines de leur domaine
pourront subsister chez leurs anciens paysans des traces de l’idéal de vie
qu’ils ont tenté de défendre en comparant cela à des fleurs arrivant à pousser
car abritées par des grands chênes même quand ceux-ci ont été abattus (dans la
vision organiciste du roman cela s’applique aussi à la famille aristocratique
par rapport au chêne que représentait la lignée royale capétienne). A l’inverse
dans Le Géant Noyé (nouvelle de
Ballard faisant vraiment écho au jardin du temps racontant un immense géant noyé
échoué dans une plage et petit à petit profané avant de voir son corps découpé
par des boucheries) le fait que les os du géant et des parties de son corps se
retrouvent un peu partout n’est pas considéré comme permettant à la beauté
esthétique du géant d’enrichir esthétiquement la vie ordinaire mais comme une
profanation de celle-ci.
Tolkien appartient à une tradition qu’on pourrait définir
comme conservatrice sociale chrétienne. Or pour le coup si Tolkien est très
sensible à la beauté esthétique dont il parle essentiellement par le biais des
elfes (à Fondcombe notamment), cela n’est pas du tout incompatible avec l’éloge
d’une vie présentée comme moins tournée vers la recherche esthétique mais plus
vers un bonheur simple (ce qui est très concrètement le cas des hobbits). Dans
les deux cas ce qui les différencie de Ballard est que le mode de vie
aristocratique ou a minima la recherche de la beauté esthétique des elfes ne
s’effectue pas dans une logique personnelle mais avec un lien à un ensemble
plus vaste et pour le bien de cet ensemble.
Cependant, cette nouvelle n’est pas non plus un éloge du
libéralisme et de la liberté individuelle face à la masse socialiste
indifférenciée. En effet la vie qui est exaltée est une vie consacrée à la
recherche de la beauté esthétique et du bonheur afférent soit de l’otium. Le
capitalisme marchand est critiqué fortement dans le géant noyé comme soumettant la beauté esthétique aux eaux
glacées de la logique marchande et la vision libertarienne la plus radicale
celle d’Ayn Rand dans la Grève voit justement dans le travail produisant de la valeur
marchande, la seule source de valeur de la vie. Et même une vision libérale
individualiste non marchande ou libertarienne considère que la poursuite du
bonheur peut se faire par différents biais (la nouvelle de Poul Anderson, le Pugiliste est marquante à cet égard).
Là où cette nouvelle est claire sur le fait que tous les ordres de valeur ne se
valent pas et que la recherche de la beauté esthétique est supérieure à toute
autre.
Enfin, l’élitisme aristocratique, la critique de la logique
marchande et de la « populace » pourrait se rapprocher de la critique
artiste du capitalisme, formulée par l’extrême droite nationale révolutionnaire
ou fasciste. Dans cette optique, cette nouvelle appartiendrait à une extrême
droite nationale révolutionnaire sans aucune définition ethnique, identitaire
ou « raciale » mais exaltant dans une optique nietzschéenne, des individus
d’exception ayant réussi à accéder à des passions esthétiques nobles face à la
populace. Mais une telle vision pour être fasciste ou nationale révolutionnaire
devrait entrainer un discours justifiant cela par une « volonté de
puissance » supérieure dans une logique guerrière. On peut en voir une
très belle illustration dans le personnage de Marquisa dans Structura Maxima d’Olivier Paquet et une
vision beaucoup plus sombre et démoniaque alors qu’elle se veut comme faisant
l’éloge d’une telle vision et peut être pour cela dans le personnage de
Boisfeuras dans les Centurions de Jean
Lartéguy.
Pourtant cette nouvelle est de droite. Elle en possède
beaucoup de traits sans correspondre totalement à aucune des droites que nous
aurons citées. On peut y voir le résultat de deux processus littéraires :
d’un côté une décontextualisation faisant que la nouvelle pourrait s’appliquer
dans n’importe quelle société et structure sociale, de l’autre une réflexion
psychologique ancrée dans les personnages. En fait, il y a un caractère de
droite astrale car pour paraphraser ce que Samuel Delany disait concernant des
poèmes de Rimbaud dans Empire-Star,
je suis persuadé qu’en adaptant quelques termes pour traduire la recherche
esthétique conformément à la société du lecteur cette nouvelle pourra parler au
lecteur si il reste humain dans 10 000 ans et ce quel que soient les
clivages politiques ou la structure sociale de sa société. Mais, elle lui
parlera tout particulièrement par adhésion et identification si il a les traits
définis dans la nouvelle. En un sens Ballard a réussi dans cette nouvelle à
saisir une sorte de quintessence intemporelle de la droite hors contexte (ce
que j’entends par droite astrale)
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