Poul Anderson : Le chant du barde


Ce recueil de nouvelles est de Poul Anderson auteur américain de science fiction célèbre, important et encore assez peu traduit en France.

Deux clefs peuvent être importantes pour rentrer dans son oeuvre: la première est qu'il s'(agit d'un auteur de science-fiction de ce qui est appelé l'âge d'or de la sf (comme Asimov) avec les tropes allant avec (empires galactiques, relative confiance en l'avenir). Il a un léger fond libertarien conservateur là où Asimov est assez à gauche et il serait intéressant de comparer leur vision par exemple du thème commun aux deux auteurs de l'empire galactique.
La seconde est qu'il a eu une fascination pour la mythologie (notamment scandinave mais pas uniquement) qui transparaît y compris dans ses ouvrages de science -fiction (et en fait un grand auteur de fantasy sous-estimé).
Je vais trier les nouvelles entre celles relevant de la science-fiction assez "classique" et celles relevant plus de l'influence mythologique.

Les récits de science-fiction classique.

En premier lieu, Sam Hall est une oeuvre de science-fiction des années 50 très classique avec un super ordinateur Matilda créant une surveillance globale. Cependant, cette oeuvre est novatrice et paradoxalement très actuelle car elle décrit comment une personnalité fictive peut avoir un impact (ici un personnage de chanson qui va mener une révolution). Or sur des réseaux sociaux où l'anonymat est possible, des gens peuvent avoir de l'influence et même écrire des tribunes dans des journaux "classiques" sans révéler leur identité (Poul Anderson nous amène juste à l'étape suivante sans aucune connaissance ou sans imaginer Internet dont Matilda , ordinateur centralisé est l'inverse). Enfin, son goût pour les mythes se manifeste déjà car la base du mythe fictif de Samuel Hall est une ballade anglaise.
Jupiter et les centaures est également une réflexion assez novatrice pour l'époque sur la manière dont une réalité semi virtuelle peut devenir plus absorbante pour une personne que la réalité "classique". En effet, le héros gravement handicapé s'introduit dans le corps d'une espèce indigène à Jupiter (qu'à l'époque on ne connaissait pas astronomiquement) pour pouvoir y vivre et y implanter le début d'une nouvelle civilisation. On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure le pitch de base d'avatar a paresseusement copié cela.
Destins en chaîne quand à elle est une oeuvre où le narrateur doit analyser des futurs différents pour trouver un moyen de soigner une augmentation des maladies mentales. Ce roman , extrêmement drôle imagine successivement une euthanasie totale, une rééducation des malades par de l'ultra violence, une rééducation pseudo douce et gentille mais tout aussi violente sous des flots de moraline et enfin une société considérant qu'il ne faut pas soigner la maladie mentale.
Le Partage de la Chair est une science-fiction anthropologique à la Ursula K Le Guin nous montrant une société où pour des raisons de mutation génétique le cannibalisme est devenu la norme. Conformément à la ligne narrative qu'il adopte dans ses récits sur Dominic Flandry, Poul Anderson nous présente une héroïne combattant cela et le récit est intéressant avec notamment une héroïne subtile (le moment où elle se venge de la mort de son mari est à la fois glaçant et émouvant).
pas de trêves avec les rois est un roman à mettre en relation avec Fondation d'Asimov. Ce roman est probablement l'un des plus conservateurs de Poul Anderson qui décrit une lutte armée entre centralisateurs et décentralisateurs attachés à un néo féodalisme. En effet, le fait que le conflit porte sur les droits des autorités locales et se passe aux Etats Unis fait irrésistiblement penser à la guerre de sécession d'autant que la référence à la chevalerie était constante dans le discours sudiste avant et après la guerre (autant en emporte le vent par exemple). Cependant, il dialogue aussi dans ce roman avec Asimov qui considère que les "sachants"  (ici des extraterrestres infiltrés sous couvert d'une secte type scientologie et dans l'oeuvre d'Asimov la Fondation) ont le droit de guider les autres vers le "chemin du progrès" historique, par tous les moyens nécessaires. Contre cela, Anderson dit que c'est aux peuple concernés de choisir leur destin et laisse planer l’ambiguïté sur le destin qu'il préfère (la fille de l'officier néo confédéré est une néo unioniste qui après la défaite de son camp dit à son père qu'elle continuera pacifiquement la lutte et celui-ci l'approuve) . La question de la possibilité pour une civilisation puissante et ayant trouvé ce qu'elle définit comme le bien de forcer les autres à suivre ce chemin a été traité avec talent par Ursula K Le Guin qui a tenté passionnément d'y apporter une réponse, avec une subtilité extrême et sans se prononcer (du fait  la rédaction de leur oeuvre en URSS ) par les frères Strougaski et d'une manière cynique et désabusée par Iain M Banks ensuite et est devenue un des thèmes politiquement les plus riches de la fantasy.
Enfin, Long Cours est par certains côtés une oeuvre de science-fiction très classiques d'un vaisseau spatial écrasé sur une lune d'une planète où des humains perdus depuis longtemps ont régressé technologiquement. Mais le récit est vu du point de vue des indigènes de la planète et plus précisément d'un groupe d'explorateurs d'une civilisation ressemblant à l'Europe (avec d'ailleurs une ambiance clairement inspirée des grandes découvertes et de Magellan ou de Colomb). Cela fait un jeu d’abîme complexe. En effet, nous avons le narrateur et ses proches qui correspondent clairement pour le lecteurs aux colonisateurs européens du 16 ème siècle. Les populations qu'ils découvrent (qui peuvent faire référence aux indonésiens avec qui Magellan a négocié ou aux amérindiens) font pour nous référence aux colonisés mais l'un de leurs chefs rêve d'utiliser le vaisseau spatial pour conquérir la galaxie (cela peut sembler stupide mais c'est le pitch de Les croisés de l'espace du même auteur qui parodie avec ambiguïté la conquête de l'empire aztèque et c'est donc crédible dans l'univers mental d'Anderson). Enfin, le naufragé dont le discours est "réparez mon vaisseau je contacte les autres et on vous intègre dans la civilisation, la vraie avec des vaisseaux spatiaux et des téléviseurs couleurs" et est donc aussi un colonisateur (involontaire). Enfin, le monde en question est très bien réussi que ce soit dans la peur de la planète autour de laquelle ils orbitent ou dans la nostalgie déchirante de la Terre vue comme le paradis terrestre de l'eden mais élargi à notre bonne vieille planète.

Les récits "mythologiques"

Le jeu de Saturne analyse la question suivante "pouvons nous vivre dans nos mythes". En effet, le groupe que nous suivons explore Saturne. Mais pendant le voyage, ils ont joué à un "psychodrame" qui est un jeu de rôle de fantasy grandeur nature élaboré. C'est une analyse fascinante à la fois de la manière dont le jeu de rôle remplace la réalité mettant en danger le groupe mais aussi de la manière dont il leur permet d'assumer des sentiments (deux membres sont amants dans le jeu et probablement amoureux dans la vie mais ils ne se le diront jamais). Enfin, le jeu est aussi montré dans son aspect positif à savoir qu'il crée un lien extrêmement fort entre les joueurs et leur permet de surmonter d'immenses difficultés en les transcendant par ce biais. La scène où pour renoncer au jeu qui handicape leur survie ils se suicident dans le jeu est très marquante.
Le chant du Barde bascule encore plus dans l'analyse mythique. En effet, SUM est un système informatique préservant les âmes via les souvenirs. SUM est clairement comparée à une divinité qui a une "incarnation" terrestre. Le barde comparé à Orphée voit sa femme mourir et veut la ramener comme Orphée. L'ambiance ne baigne pas dans la science-fiction mais dans les références à orphée et à la Bible avec des personnages recréant consciemment le mythe d'Orphée.
Enfin, la reine de l'air et des ténèbres nous montre une société où une femme fait appel à un détective privé pour retrouver son enfant. Or, celui-ci a été enlevé par un autre peuple vivant sur la planète et inconnu. Sur celui-ci il y a juste quantité de légendes et de chants évoquant les croyances en les elfes et farfadets. Ce texte est une merveille par le talent de poète de Poul Anderson créant les chansons des mythes de cette planète , par la guerre psychologique extrêmement subtile que mène l'autre peuple contre l'humanité et par une question déja abordée dans le jeu de Saturne :; à partir de quand une croyance largement partagée devient elle une réalité ?

Pour une critique de qualité sur un autre blog, je vous invite à lire https://leschroniquesduchroniqueur.wordpress.com/2018/03/09/le-chant-du-barde-de-poul-anderson/

Commentaires

  1. J'ai découvert Poul Anderson grâce à ce recueil, et certaines nouvelles sont effectivement de très grande qualité !

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